Entre 1952 et 1959, Cuba subit de grands bouleversements sociaux et politiques. Du coup d’État fomenté par Batista, à la solde des Américains, jusqu’à la Révolution de Castro, qui les chassera du territoire, l’île a vécu quelques années instables que nous raconte Rachel Kushner dans son Télex de Cuba. L’auteure multiplie les voix pour nous faire vivre ces années de l’intérieur. Comme si on y était, donc. Et c’est plutôt réussi.
Venue de son Tennessee natal, la jeune Everly débarque avec ses parents, d’abord à La Havane, puis à Preston et à Nicaro où son père dirigera une mine de nickel, alors que Batista vient de s’installer au pouvoir. On découvre l’île à travers ses yeux d’enfant, puis d’adolescente. Un regard curieux, ouvert, allumé. On s’attache tout de suite à cette personnalité hors du commun, sensible et déjà affirmée. Rachel Kushner s’est inspirée des souvenirs de ses grands-parents et de l’enfance de sa mère pour écrire ce roman. On devine que la petite Everly fait honneur à l’ombre maternelle.
En contre-chant, on suit aussi le fils d’un dirigeant de la production de canne à sucre, ainsi que plusieurs Américains venus chercher de meilleures conditions de vie à Cuba, mais qui vivent en autarcie dans leur petit monde de Blancs américains dans un système qui les favorisent au détriment des travailleurs locaux.
Et dans les choeurs, les voix d’un trafiquant d’armes français et d’une danseuse et putain cubaine, espionne pour Castro, viennent ponctuer le récit.
La plupart des personnages se croisent, mais parfois sans se connaître, ou alors si peu. Chacun de ces points de vue vient enrichir le portrait global de ces années cubaines.
C’est surtout l’univers des expatriés américains qu’on apprend à connaître, tout en prenant conscience du choc des cultures et des enjeux historiques et sociaux de la révolution cubaine. L’auteure passe par l’intime pour nous faire connaître un pan de la grande Histoire. On en ressort un peu plus savant et avec des parfums et des couleurs plein la tête qui donnent envie d’aller danser la salsa dans les Caraïbes, un daiquiri à la main. Un peu plus et on ressent, nous aussi, la nostalgie de ces années-là et le mal du pays.